Rien ne prédestinait Odile Mir à devenir designer. L’industrie l’a trouvée.
Tout a commencé chez le fabricant de luminaires Delmas à Montauban, dans le Sud-Ouest de la France.
Odile Mir est une artiste reconnue. Elle imagine des œuvres sculpturales métalliques, recouvertes de cuir, de papier, comme de seconde peaux. Des formes qui rappellent, entre autres, le corps de la femme.
Elle gagne cette usine pour y fabriquer des luminaires et son propre mobilier (elle avait déjà pris l’habitude de concevoir ses vêtements). Quelque chose de simple, durable et efficace, dont l’usage offre liberté et confort. Avec la même intuition que pour ses sculptures.
Dans les années 1970, la modernité prévalait. « Il y avait beaucoup de choses ringardes », se souvient-elle. « Mes créations sortaient du lot. »
À la recherche d’innovation, un acheteur du grand magasin d’ameublement Prisunic est venu visiter l’usine et a demandé à son directeur qui était cette femme à qui l’on avait octroyé le meilleur ouvrier de l’entreprise pendant une semaine, ni moins ni plus. « C’est la modéliste qui s’amuse ! » a-t-il répondu.
Ses fauteuils, ses lampes et ses tables inventés sans trop y penser font dès lors leur entrée au catalogue de vente par correspondance de la marque, entre ceux de Gae Aulenti, Marc Held et Olivier Mourgue.
« Quand l’usine a brûlé dans un incendie, mon instrument de travail était perdu », évoque Odile.
« Après cette aventure, j’ai continué à sculpter, presque comme avant. »
Heureusement, quelques particuliers avaient pu acheter ces luminaires et ce mobilier. Ils les ont transmis aux générations futures.
Aujourd’hui, l’architecte d’intérieur Léonie Alma Mason, petite-fille de la créatrice, fondatrice et directrice de LA.M Studio à Paris, donne une nouvelle vie au design d’Odile Mir avec l’édition et la réédition de ses prototypes, ses productions commercialisées et ses archives.
Des meubles et objets à la modernité immédiate.
« Créer des luminaires et des meubles est arrivé comme ça, de manière intuitive. Une fois édités, je me suis rendu compte qu’il s’agissait de choses dont j’avais rêvé. »
Odile Mir
Léonie Alma Mason
Tu es arrivée dans le monde du design par hasard.
Odile Mir
J’allais souvent récupérer des matériaux pour sculpter à l’usine Delmas. J’avais des idées plein la tête sur la route, dans ma fourgonnette. Une fois arrivée, j’essayais de les matérialiser. J’ai tout appris par moi-même et par l’artisanat.
LM
Ces objets ont pour bases des formes très simples qui trouvent leur équilibre.
OM
Ce sont des formes élémentaires qui habitent nos vies : des ronds, des carrés, des triangles. À l’époque, je ne savais rien du design mais ce que je voyais autour de moi était avant tout pratique. Je voulais meubler mon intérieur avec des choses qui avaient de l’esprit.
LM
Qu’est-ce qui t’es passé par la tête pour créer la gamme FILO ?
OM
Delmas travaillait peu le fil de métal, j’ai alors décidé d’explorer cette matière sans le dire. J’ai été surprise par sa versatilité. J’ai par exemple imaginé le Porte-revues FILO, qui s’utilise dans plusieurs positions différentes.
LM
Le Grand fauteuil DAVID sort du lot par rapport à tes autres créations.
OM
Je me souviens avoir voulu un fauteuil léger sur le modèle d’un triangle. J’ai donc dessiné des points d’appui, comme une figure de géométrie, pour voir. Le résultat m’a plu et j’ai ajouté des ressorts pour la souplesse.
LM
Il est unique dans la famille LOMM Editions.
OM
Je me suis toujours dit que je construirais une maison suspendue un jour. Elle devra être parfaitement stable, car elle sera au-dessus du vide et susceptible d’être balancée par le vent. Le Grand Fauteuil DAVID est né comme ça.
LM
Tu piochais dans l’usine Delmas comme dans un magasin.
OM
Les femmes ont la malice d’utiliser tout ce qu’elles ont sous la main, comme en cuisine. Je n’ai donc pas hésité à me servir dans les trop-pleins de l’atelier. J’y ai trouvé les deux disques et les ampoules du Lampadaire DUO et l’arrière de la Lampe à poser PLI.
LM
Pourquoi ?
OM
Je me suis dit que ce serait bien de faire des lampes qui ont du chien car je n’en n’avais pas. Je les ai fabriquées du premier coup avec l’aide d’un artisan. Je suis admirative du vocable qu’emploient les artisans pour parler de leur travail. Inutile de dire que je faisais figure de curiosité à l’usine.
LM
Tu t’es imposée naturellement.
OM
L’indépendance est la liberté que l’on m’a donné à l’usine. Je suis arrivée à me faire une place dans ce monde qui ne m’attendait pas. Que l’on m’ait accordé le meilleur ouvrier alors que rien ne m’était demandé fut une chance inouïe, c’est maintenant que je le réalise.
LM
D’où viennent les numéros des modèles ?
OM
Ce sont les numéros d’inventaire de Delmas.
LM
Les années 1970 ont développé le design en série. Avais-tu imaginé un jour retrouver tes créations dans le catalogue Prisunic ?
OM
Ce moment a changé la façon dont les gens consomment et leur comportement. Ce n’était pas raisonné pour moi. Ce qui m’a surpris, c’est la possibilité du rebondissement. Comme aujourd’hui, plus de cinquante ans après. LOMM offre à ces créations un raccourci dans un futur que je ne pouvais imaginer. —